The City & The City - China Miéville

mardi 15 février 2011
Roman publié en 2009 chez Macmillan


China Mieville est un auteur que j'apprécie beaucoup. A la fois pour son oeuvre (je n'ai pour l'instant lu que The Scar mais je compte bien corriger ça au plus vite), mais aussi pour ses efforts visant à "désenclaver" la fantasy de l'héritage tolkienien dans lequel elle s'est enfermée depuis une cinquantaine d'années. Ne vous méprenez pas, je n'ai rien contre Tolkien (même si j'avoue volontiers que LSdA n'est pas mon livre préféré), et je lui reconnais tout à fait le rôle de pionnier qu'il a pu exercer en son temps. Seulement j'ai parfois un peu l'impression que la fantasy est le parent pauvre des "littératures de l'imaginaire" du point de vue de l'exploration des possibilités et des limites du genre (parce que commercialement évidemment c'est une autre histoire, et on a là un début d'explication). Bref. Je ne vais pas m'étendre là-dessus, j'y reviendrai peut-être à l'occasion d'un autre billet.

Surtout que The City & The City, ça n'est pas vraiment de la fantasy (ou alors de la fantasy urbaine). Mieville s'essaie ici à un nouveau genre, le policier fantastique. Pour autant, on retrouve de nombreux éléments chers à l'auteur, avec évidemment en premier lieu sa fascination pour la ville, qui est le véritable personnage principal de cette histoire. Ou plutôt, qui sont. Parce que la ville en question est double. Ou les deux sont une, on ne sait pas très bien. Besźel et Ul Qoma, puisque c'est leur noms, se situent géographiquement au même endroit (quelque part en Europe de l'Est, on n'aura pas droit à plus de précisions), mais pour leurs habitants, il s'agit bien de villes différentes. Plus qu'une simple hallucination collective, elles semblent co-exister sur différents plans de réalité. L'astuce est que ceux-ci sont perméables, autrement dit il est possible pour un habitant d'une de deux villes d'observer, voire d’interagir avec des éléments de l'autre cité. Sauf qu'un tel comportement ("brêcher", to breach en VO) est interdit par la loi et contrôlé sans merci par une mystérieuse organisation nommée Breach, sans trop que l'on sache pourquoi. On peut supposer que l'existence même de ces deux villes repose sur les perceptions différenciées de leurs habitants respectifs, sans quoi elles rejoindraient le même plan de réalité et s'écraseraient l'une sur l'autre.

Ca vous semble confus? Ca l'est au début, surpris et fasciné que l'on est par la myriade d'implications et de possibilités ouvertes par ce prémisse. D'autant que la chose n'est pas clairement expliquée au début, mais révélée petit à petit, par touches subtiles. Le talent de Mieville est s'exprime ici pleinement, puisque là où un autre auteur se serait emmêlés les pinceaux, Mieville parvient à développer un univers cohérent et crédible, en parallèle au déroulement de l'histoire. Celle-ci débute à Besźel, où l'inspecteur de la brigade criminelle Tyador Borlú, le parfait private du roman policier, découvre le cadavre d'une jeune femme. On va suivre ce personnage tout au long de son enquête, qui commence à Besźel (première partie du livre) pour se poursuivre à Ul Qoma (deuxième partie du livre) à mesure que Borlú se rend compte de l'ampleur et des ramifications de l'affaire, et se termine... quelque part. Notons simplement sans trop en révéler que celle-ci l'amène à enquêter autour de la mystérieuse Breach, et de la légende d'Orciny, qui voudrait qu'une troisième ville éponyme existe secrètement entre les deux autres.

Ce que j'ai préféré dans ce roman, c'est la construction imaginaire et intellectuelle de l'existence superposée des deux villes, extrêmement convaincante et fascinante. Les habitants de chaque ville ont par exemple été entraînés à "dévoir" ("unsee" en VO) les habitants, bâtiments et évènements de l'autre ville, c'est à dire de les effacer consciemment de leur esprit. Petit écho dérangeant au comportement de tout bon citadin, qui s'habitue à la pauvreté qui l'entoure et qu'il finit par ne plus voir, par simple construction de l'esprit. Cette séparation est permise par les fortes différences architecturales, d'habillement, et simplement d'allure entre les deux villes et leurs habitants. Ca donne d'ailleurs lieu à un passage délicieux où l'un des personnages, maîtrisant parfaitement les codes de chaque ville, passe pour un véritable fantôme, aucun des habitants des deux villes ne pouvant déterminer avec certitude s'il se trouve dans l'une ou l'autre et craignant de "brêcher" en le voyant.

Un autre élément que j'ai beaucoup aimé dans le bouquin : les constructions de langage. On a droit à un mélange entre termes techniques policiers, argot slavisant ("policzai", "militsya"), et mots liés à la nature même des deux villes ("unsee", "topolganger", "grosstopically", "crosshatch"). Le tout sonne juste et renforce l'immersion. Par contre, c'est le traducteur qui va s'amuser. Traduction en français qui, d'ailleurs, est prévue pour la fin d'année. Encore un peu de patience pour les anglophobes...

Seul (petit) bémol, l'enquête en elle-même ne m'a qu'à moitié convaincue, ne saisissant pas toujours les liens logiques entre les évènements et les conclusions de Borlú (qui pour le coup passe pour un véritable génie du crime), d'où une certaine impression d'artificialité par moments. Après, c'est peut-être moi qui suis tout simplement mou du bulbe...



Coup de coeur


Ils en parlent également : Imaginelf, Lilyn Kirjahylly

4 commentaires:

Lelf a dit…

La partie policière est un peu facile je trouve aussi. Ça ne manque pas de logique mais c'est clair que le lecteur a du mal à se faire son idée avant, surtout vers la fin, où il court après un truc et toi t'es là "mais pourquoiiiiii" ;D
Ceci dit, je pense que ça tient au style du vieux roman noir. J'en ai pas trop lu, mais je serais curieuse de vérifier :)
Et sinon l'univers est géantissime !

Miss Spooky Muffin a dit…

Ah, c'est vrai que cette fin "je te déballe tous les mystères d'un coup tellement c'était facile à déduire", ce n'était pas idéal, mais j'ai suffisamment apprécié le côté fantastique du livre pour ne pas trop formaliser sur l'aspect policier, très classique dans le fond. J'ai hâte de voir les prochains - ou les précédents, si on en croit l'auteur - pour découvrir un peu plus de cet univers fascinant !

Julien a dit…

Ah, d'autres fans de Miéville, je suis content ! J'hésitais à me lancer dans celui là, mais ça me tente bien finalement. Par contre je crois qu'il viendra après le roi des rats et Lombres, les seuls autres romans de China Miéville que je n'ai pas lu. De toute façon, il est pas encore traduit, et je me vois mal me lancer dans du Miéville en anglais... C'est pas trop trop difficile d'ailleurs ?

Maëlig a dit…

@Lelf disons qu'après coup ça semble toujours logique effectivement, mais on se demande quand même souvent d'où vient l'intuition quasi-surnaturelle de Borlu.

@Miss Spooky Muffin tu as vu quelque chose comme quoi il allait refaire un truc dans le même univers?

@Julien c'est largement faisable, si les éléments de langage dont je parle dans mon billet ne te rebutent pas.

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